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Le faux débat des gains de productivité de l’IA générative 

En 1987, l’économiste Robert Solow observait avec malice que l’informatique était visible partout sauf dans les statistiques de productivité. Cette remarque encapsule le « paradoxe de la productivité » qui a enflammé les débats économiques des années 1970 et 1980. 

Aujourd’hui, alors que nous nous engageons plus avant dans l’ère de l’intelligence artificielle générative, il se peut que nous soyons à nouveau confrontés à une énigme similaire. Cet article vise à montrer que la critique de l’IA générative fondée uniquement sur les potentiels gains de productivité manque de pertinence. L’enjeu réel réside moins dans l’augmentation de la productivité que dans la capacité de cette technologie à générer de nouveaux produits ou services et des modèles économiques innovants. 

Le paradoxe de la productivité : un débat historique 

Le paradoxe de la productivité des années 1970-1980 décrit une situation où l’investissement massif dans les technologies de l’information (TI) ne se traduisait pas par des gains de productivité visibles au niveau macroéconomique. Cette période, marquée par un ralentissement de la croissance de la productivité malgré l’augmentation exponentielle de la capacité informatique, a suscité de nombreuses hypothèses. 

Parmi elles, la théorie de la « mesure » suggère que les statistiques économiques traditionnelles ne parvenaient pas à capturer l’effet qualitatif des améliorations technologiques sur la productivité. 

D’autres théories, comme celle des « retards dus à l’apprentissage et à l’ajustement », proposent que les bénéfices des investissements en TI ne se manifestent que bien après leur mise en œuvre, nécessitant des ajustements organisationnels et des investissements complémentaires. 

Aujourd’hui, ces mêmes débats ressurgissent, avec Daron Acemoglu, économiste et professeur au MIT, qui a présenté une analyse prudente sur l’impact de l’intelligence artificielle sur la productivité. Selon son étude, basée sur des données de l’Université de Pennsylvanie et OpenAI, moins de 5 % des tâches des salariés américains seraient affectées par l’IA, avec une augmentation de productivité prévue de seulement 0,07 % annuellement sur les dix prochaines années. Daron Acemoglu souligne que, malgré les prévisions plus optimistes de certains économistes, l’efficacité réelle de l’automatisation reste limitée, surtout pour les tâches complexes. Il met également en garde contre les coûts indirects de l’IA, tels que les risques accrus de cyberattaques et de désinformation. 

Au-delà des gains de productivité : la transformation digitale façonnant de nouveaux espaces économiques 

La transformation digitale du début des années 2000 a remodelé profondément les marchés existants et a permis de créer de nouveaux espaces économiques. Cette transformation est particulièrement visible dans deux domaines principaux : l’économie des plateformes et l’économie de la donnée. 

L’économie des plateformes 

Les plateformes numériques ont révolutionné les interactions commerciales en connectant directement les consommateurs avec les fournisseurs de biens et de services. En 2023, le marché global du e-commerce, dominé par des plateformes telles qu’Amazon, a atteint une valeur de 4 500 milliards de dollars pour l’année 2023, et continue de croître. Uber, de son côté, porté par le développement du smartphone, réalise plus de 5 milliards de trajets annuellement générant 19,6 milliards de dollars de revenus grâce à l’activité de transport et 12,1 milliards de dollars grâce à la livraison.  

Ces plateformes ne sont pas seulement des catalyseurs de commerce, elles sont également des créateurs d’emploi. Par exemple, Uber et similaires ont contribué à créer un marché du travail pour des populations éloignées de l’emploi, même si ce marché flexible est controversé en termes de droits des travailleurs. Le nombre de travailleurs de plateforme dans les économies développées varie entre 0,2% et 5% de la population active. Dans le domaine de l’emploi, le leader Upwork, couvrant 160 pays, compte plus de 10 millions de freelances inscrits et a généré un chiffre d’affaires de 480 millions de dollars en 2021. 

Airbnb, une autre plateforme majeure, a hébergé plus de 800 millions d’arrivées d’invités depuis son lancement. En 2020, malgré la pandémie, Airbnb a réalisé une introduction en bourse réussie, valorisant l’entreprise à plus de 100 milliards, et a réalisé un chiffre d’affaires de 8,4 milliards de dollars en 2023, soit une hausse de 40% par rapport à 2022. 

Ces exemples démontrent non seulement la capacité des plateformes à générer des revenus substantiels mais aussi leur rôle dans la transformation des industries traditionnelles. 

L’économie de la donnée 

Le secteur de l’économie de la donnée est alimenté par la digitalisation croissante de nos sociétés et l’explosion des dispositifs connectés. Selon une étude IDC, le volume de données créées devrait atteindre 175 zettaoctets d’ici 2025, un chiffre presque incompréhensible mais qui reflète l’importance croissante des données comme moteur économique. 

Les entreprises comme Alphabet et Meta montrent l’étendue de la valorisation des données. Alphabet, avec ses divers services allant de la recherche en ligne à la publicité digitale, a généré des revenus dépassant 306,9 milliards de dollars en 2023. Meta, grâce à sa capacité à cibler finement les publicités en utilisant les données de ses utilisateurs, a généré 134,9 milliards de dollars la même année. 

Toutefois, cette collecte et utilisation des données soulèvent des questions éthiques et réglementaires importantes, notamment en termes de vie privée des utilisateurs et de sécurité des données. 

Tout comme la révolution numérique a stimulé la croissance économique en redéfinissant les modèles d’affaires et en ouvrant de nouveaux marchés (sans même parler du marché du hardware, dont la taille est estimée à 130,86 milliards de dollars en 2024, et devrait atteindre 191,03 milliards de dollars d’ici 2029), l’intelligence artificielle générative est sans doute en passe de transformer radicalement notre économie. Il serait réducteur de ne considérer que les gains de productivité apportés par ces technologies émergentes, bien que ceux-ci soient indéniables dans des domaines tels que l’automatisation de calculs, de vérifications récurrentes ou le traitement de données non structurées. 

Prédire dès aujourd’hui avec précision l’étendue et la nature des changements induits par l’IA générative s’avère complexe. Cette situation nous rappelle les incertitudes rencontrées avant le boom d’Internet et des smartphones dans le milieu des années 2000. À l’époque, les retombées massives de la révolution numérique étaient difficiles à envisager avant qu’elles ne se concrétisent. 

Notre difficulté actuelle à imaginer tous les effets de l’IA générative ne doit pas nous faire douter de son impact futur. L’histoire nous montre que les technologies naissantes ont souvent des répercussions bien au-delà de leurs premières utilisations, redéfinissant les marchés, transformant les secteurs économiques et modifiant les comportements sociaux de façon souvent imprévisible mais significative. 

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